Le terme Armorique et le qualificatif "gallo-romain" qui lui est ici appliqué sont l'un et l'autre controversés. Armorique en effet désignait à l'origine une partie importante du territoire de la Gaule celtique, qui s'est même étendue au bas-Empire assez largement à l'intérieur de cette dernière, au mépris donc de l'étymologie, avant de connaître par la suite une sorte de rétraction pour ne plus désigner que la seule péninsule armoricaine assimilée finalementà la Bretagne continentale. Le processus, pour lequel on dispose de témoignages d'écrivains bretons continentaux tel Uurdisten au IXe siècle à Landévennec, était en tout cas achevé vers 1130, car on le trouve décrit dans le chapitre 92 de l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth : in minorem Britanniam, quae tunc Armorica sive Letavia dicebatur (En petite Bretagne, alors appelée Armorique ou Létavie). Cette terminologie "inventée" par Geoffroy de Monmouth, à qui la reprend aussitôt Robert de Torigni (... quae antiquitus Letavia sive Armorica vocata est), a connu un succès durable au Moyen Âge dans la sphère des lettrés et en particulier chez les hagiographes bretons.
Quant à l'adjectif "gallo-romain", il s'agit d'une invention française du XIXe siècle qui, si l'on en croit une certaine école historique actuelle, consisterait, au travers du constat masochiste de leurs descendants, à situer les Gaulois dans une perspective coloniale d'assujettissement à une civilisation réputée supérieure, celle de Rome : cette critique est sûrement très profitable au débat historiographique; mais l'adjectif "gallo-romain" demeure suffisamment "commode" et explicite dans son acception traditionnelle pour que nous ne renoncions pas à l'utiliser ici.
mercredi 12 mai 2010
Fanum et toponymie : « le Feu-du-temple » à Baguer-Morvan (Ille-et-Vilaine)
Si la divinité à laquelle était rendu un culte au temple du Haut-Bécherel alias Petit-Bécherel, en Corseul (Côtes d'Armor) est demeurée jusqu'à ce jour inconnue, le Fanomartis armoricain est peut-être à rechercher ailleurs qu'à Corseul, comme l'ont naguère suggéré L. Langouët et G. Souillet : en réexaminant les indications fournies au sujet de ce toponyme par la carte de Peutinger, ces chercheurs ont en effet privilégié l'hypothèse d'une localisation à un carrefour routier dans les parages des actuelles communes de Baguer-Pican et d’Epiniac.
Pour notre part, nous sommes tenté d’étendre le périmètre en question à l’actuelle commune de Baguer-Morvan, à proximité immédiate des deux précédentes et elle aussi située sur le tracé de la voie d’Avranches à Corseul : là en effet l’archéologie et l’onomastique convergent pour indiquer l’existence d’implantations antiques encore méconnues. Des opérations de prospection archéologique, réalisées dans les années 1970 à l’initiative du CeRAA, avaient permis à l’époque de repérer des substructions gallo-romaines, accompagnées de tuiles et de fragments de poterie sigillée dans des parcelles situées près du village de « la Boissière », nom qui, en Bretagne, désigne souvent des lieux remontant à la période considérée, même si d’autres explications ne doivent pas être écartées ; mais c’est surtout le toponyme « le Feu-du-temple », non loin du village appelé « le Pas » (passum, « passage »), qui nous semble devoir retenir l’attention : en effet, ce nom désigne une vaste parcelle où, durant les opérations de prospection signalées ci-dessus, des tegulae, ainsi que des poteries grises et de la céramique sigillée ont été relevées.
Or, parmi toutes les acceptions possible du mot « feu » en toponymie — en particulier dans l’espace linguistique qui correspond à l’aire d’extension des parlers romans du Nord-Ouest (angevin, gallo, manceau, tourangeau) — figure celle de « temple » (fanum). Dans le cas du toponyme « le Feu-du-temple », cette acception est renforcée par une forme tautologique, qui pourrait résulter du fait que « feu » avait cessé d’être compris à une époque où le souvenir du « temple » local était encore vivant. En Anjou et dans le Maine, on trouve respectivement Feneu (Maine-et-Loire), attesté sous la forme Fanum ou Fanum novum vers le milieu du XIe siècle, et « les Feux-Vilaine » (commune de Saint-Pierre-la-Cour, Mayenne), attesté sous la forme cum Fano Vicinoniae en 616.
Deux villages de Baguer-Morvan portent les noms de « la Ville-au-feu » et « la Fontaine-au-feu » et sont séparés l’un de l’autre par une parcelle appelée « le Clos-au-Feu » : S. Périchon dans son excellent travail sur « Les noms de lieux signalant des bois, des landes, des haies et des essences bocagères en Ille-et-Vilaine » préfère voir dans « la Ville-au-Feu » un toponyme formé comme d’autres — « le Champ-du-Feu »(Saint-Gilles), « Beaufeu » (Val-d’Izé), « le Moulin-du-Feu » (Balazé), « la Lande-du-Feu » (Corps-Nuds) ou « le Feugérard » (Sens-de-Bretagne) — avec le nom du hêtre (fagus) ; mais à l’instar de ce que nous venons de suggérer pour le lieu-dit « le Feu-du-Temple », il ne faut peut-être pas exclure là encore un rapprochement avec fanum, d’autant que les deux villages en question ne sont pas très éloignés de cet endroit.
De manière générale, si l’origine des toponymes qui contiennent le mot « feu » renvoie le plus souvent au nom du hêtre ou à celui du foyer (focus), il nous semble imprudent de faire l’économie d’une investigation étymologique du côté de fanum, qui peut se révéler particulièrement féconde, surtout quand elle est renforcée par les découvertes archéologiques. La même démarche devrait d’ailleurs s’appliquer également, au-delà de l’Ouest de la France, aux toponymes qui contiennent les mots « fau », « fo », « fan » ou « fa », à l’instar de ce qui se voit par exemple à Montfau/Montfo, commune de Magalas (Hérault), à Fanjeaux (Aude) et à Fâ, commune de Barzan (Charente-Maritime).
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